RETOUR A LA LONCHE
Inès m'annonce qu'elle va jouir, ce dont je me réjouis, car je commençais à fatiguer un peu du filet à force de donner ma langue au chat. De fait, elle remue comme de la pâte à pain dans son pétrin. C'est un beau mouvement, solide, généreux, ample. Qui radine du fond des âges. Le geste auguste du semeur, à côté, c'est perlimpim-pette et consort. Elle a tout le bassin qu'aquitaine, Inès. Le pubis qui chavanne. Son souffle locomotive. Elle crie des mots, à courte voix nette et autoritaire, Me fait ses dernières recommandations avant de larguer les amarres, comme quoi faut pas que je baisse de régime, surtout Et fouinasser du menton, vu que ma barbe en cette fin de noyé, a quelque peu poussé, formant une sorte de râpe naturelle qui. habilement exploitée, peut créer des sensations secondaires» Faut savoir
Le turbin à Mathias doit être plus que valable, car elle hésite peu :
— On dirait les hommes qui s*occupent de l'installation dont je vous ai parlé...
— Parfait, merci.
Mon collaborateur est radieux. Je lui flanque une bourrade récompenseuse; la bourrade étant la caresse du chef.
— D'autres instructions, patron?
— Oui : retrouver ces deux gugus au plus vite.
Son sourire meurt
doucement, comme une
plante privée d'eau, ainsi que l'écrivait si magistralement Jean Dutour dans Charlie Hebdo de la semaine prochaine.
— Les retrouver?
— Quand je te dis « au plus vite », n'exagérons rien. Avant ce soir, quoi! Pinaud va mieux?
— Oui, il est venu à l'Agence, ce matin.
— Alors mobilise-le. Tu peux déjà démarrer ton enquête ici même en questionnant l'exquise Louisette. Ces types étaient en voiture. Peut-être ont-ils téléphoné d'ici? Enfin, tu connais le boulot, non?
Ce grand bandeur couleur de coquelicot jette
/ une oeillade à glissière sur la soubrette. Trouvant
cette personne fort comestible, il se fend d'un sourire qui fait littéralement éclater ses taches de
rousseur .
— Mademoiselle, si vous pouviez m'accorder
un instant d'entretien
en privé, il dit, comme un
qui demanderait sa main à Louisette,
Comme elle ne déteste pas les garçons qui sentent le cirque Bouglione, elle propose :
Elle lui répond qu'il n'a qu'à prendre de Talka-seitzer pour son spleen et à mettre son mandrin de eôté pour une date ultérieure, vu qu'elle est en pleine bouillave avec un monsieur de qualité. L autre la traite de pute. Inès se marre et raccroche.
•— Vous n'auriez peut-être pas dû faire fi de sa proposition* dis-je.
— Pourquoi?
~t~ Parce qu'à franchement parler, je crois vous avoir fourni le meilleur de mes prestations et je ne vois pas votre avenir immédiat sous d'heureux auspices.
Elle me regarde là où ii faut lorsqu'on veut mesurer la sincérité d'un monsieur, et devant la triste éloquence du spectacle, se perd dans de l'affliction.
— D'où vous vient cette méforme, mon cher?
— Préoccupations professionnelles.
— Que diable, vous ne pourriez pas les laisser au vestiaire pour les y reprendre demain matin?
— Les hommes sont incapables de se départir de leurs pensées quand celles-ci sont envoûtantes, douce Inès. Si vous saviez le nombre de coïts qui furent interrompus à cause d'une traite impayée...
Là-dessus, le bigorneau reprend son gazouillis. C'est encore le Roland qui veut venir sonner de l'olifant sur le paillasson de ma belle déçuç. A tout prix. Il est en plein rut, le veinard. Il toque son chibroque contre le combiné, pour appuyer ses dires, prouver qu'il ne se vante pas et qu'il a du répondant plein son calbard. Il peut payer cash, le voyou. Lui faire la toupie bretonne, à
frénétiques, je me suis dit que m«m assassin se trouvait parmi eux et que j'allais mourir... Chose curieuse, Je n'avais plus peur. Je me sentais résigné. Absolument soumis â te fatalité, vous comprenez ça, San-Antonio?
— Fort bien.
—~ Quelle heure est-il?
Onze heures moins des
Le calme est revenu.
On a Timpression de se retrouver dans tine salle dés fêtes lorsque les derniers zobs^volants l'ont quittée.
Bérurier suggère que nous cassions une graine. Tout le monde est pour. Comme Loufsette s'appuie un turbin noir afin de remettre de Tordre dans la maison, c'est Mister Luctfflus en personne qui se rend aux cuisines, accommoder une jaffe digne de notre délabrance.
Les deux guêpes et Bébert ne moiiftent pas. La tornade notre parait les avoir sonnés, tous les trois, lis ont répondu à trop de questions» serré trop de mains, subi trop de parlotes creuses.
Ça fatigue, la connerie des autres. Ça exténue. Ça tite.
Mor-même, épuisé» Je me laisse choir sur «n canapé, les mains croisées sur le ventre, je me perds dans la contemplation du ciel plutôt b!etif avec des moutons en forme de fumée.
Je pense d'un cerveau appuyé, donnant à ma ga m berge des pleins et des défiés, eomme jadis les
des similitudes de goût. Si le cœur m'en dit, je pourrais même lui flatter les roustons en cours de prouesse, des fois que mes mœurs déraperaient sur la bordure. Il est pas sectaire. Il veut l'absolu contentement de tout un chacun. Il est pour le fade universel. La présence des autruis ne l'intimide pas. Il peut brosser devant les gens les plus intimidants : le Pape, Golda Meir, le général Bigeard, Canuet, Druon, Mme Soleil, le Pasteur Radot, Gérald Ford, Brigitte Bardot, même, pour te dire... Bon, alors c'est banco, le temps de sauter dans un sapin et il s'annonce. Inès peut se pomponner le frifri, c'est déjà parti pour lui. Il se déculottera dans l'ascenseur afin de gagner du temps. Elle devrait laisser la lourde ouverte, mettre son baigneur en position d'engouffrance dès l'entrée, qu'il la plombe recta, dans la foulée. Il aura l'hallebarde en main, parée pour l'estocade. Lui fera traverser l'appartement en trombe, bien embrochée, la chérie. Il lui chantera Sambre et Meuse pendant ce temps. Alors voilà, y'a plus qu'à l'attendre.
Il raccroche enfin pour lancer son javelot en direction du prose à Inès.
Moi je me reloque rapidos, vachetement joyce d'être sauvé par ce gong de Roland. Je pouvais plus la souder, la môme Inès. Assurer ses transports devenait une foutue corvée. J'ai besoin de me consacrer à la tâche qui m'attend.
Oui, car j'omettais de te dire : depuis quelques heures, nous sommes le 1er juin et c'est ce soir à minuit que je vais devoir veiller sur les jours précieux de Christian Bordeaux.
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blessée pour laquelle s'alarme un peuple tout, entier.
Je me blottis dans le fond de la délicate alcôve tendue de feutrine rouge, juste derrière lui, surveillant les gestes, les comportements, les faits, les visages, les paroles.
Rarement m'a été donnée l'occasion d'entendre proférer autant de conneries monumentales en si peu de temps. C'est le grand récital de turpitudes. Le festival de la lèche. Le concours de l'hypocrisie. A qui renifle le mieux, vibre le plus, verse le pleur de meilleure qualité.
— Dès que j'ai su, je me suis précipité.
— Quand on m'a eu téléphoné, j'ai dû m'as—seoir.
— J'ai poussé un cri.
— Je me suis fait emplâtrer par un taxi en venant, tellement je roulais comme un fou.
— Tu n'as pas trop mal?
— Tu devrais consulter le professeur Moule—noux.
— Non : le professeur Fumecédube !
— Moi, à ta place...
— Moi, à ta place...
— Moi, à ta place...
— Moi, à ta place..»
Tant et tant qu'à la fin je n'y tiens plus, moi, Santonio Et que je gueule comme jamais un mec a gueulé aussi fort depuis la vigie à Christophe Colomb :
— Moi» à votre place, je fermerais ma gueule»
et je me barrerais, tas de cancrelats!
Lopes
vomiques! Tailleurs de pipes 1 Baveurs de
6anie!
jalmince? M'étonnerait. Moi, Inès, je t'en fais cadeau. C'est de la pouliche frémissante, qui te caracole sur le gland avec brio. T'aimes à la sortir dans des boîtes huppées parce qu'elle en installe bien et commotionne messieurs les bonshommes. Sinon, je m'en tamponne de cette greluse.
Je prends place dans ma pompe, sur le siège passager, et je me mets à guetter l'arrivée du bandeur de nuit.
Seulement, au bout de très peu, j'ai la mouli-nette farceuse qui part à dame.
A la place de cette rue immobile, c'est la fastueuse maison de Christian Bordeaux que je vois.
Comme si j'y étais.
La preuve : j'y suis!